Préface (extraits)

      " Le travail qu’a fait Jean-Yves Dournon est bon et utile pour l’homme de l’an deux mille qui peut-être, sera entouré de jouets scientifiques et vivra dans le meilleur des mondes possibles, à savoir la démocratie, mais qui ne sera guère différent, dans ses rapports avec ses semblables et avec lui-même, des paysans du Moyen Âge auxquels on doit la plupart des maximes de vie ici recensées. "

Jean Dutourd, de l'Académie Française

Quand j'étais gamin, c'est-à-dire en révolte contre tout, je m'amusais à triturer les proverbes. Je disais : "Qui paie ses dettes n'amasse pas mousse" ; "Tout péché n'est pas bon à dire" ; "La pauvreté ne fait pas le bonheur" ; "Bien mal acquis n'est pas perdu pour tout le monde" ; "Vérité cachée est à moitié pardonnée" ; "Le mensonge sort de la bouche des enfants" ; "Les bons comptes tuent l'amitié" ; "Le silence est d'or sauf quand on hurle avec les loups" ; etc............ Je croyais, grâce à cet exercice badin, atteindre des sommets de pessimisme, ce qui me plaisait beaucoup, car la jeunesse aime le pessimisme; elle s'imagine, en le professant, qu'elle a plus de savoir que les vieux. Je me trompais, naturellement. Les vrais proverbes sont plus pessimistes que les faux.
Etant un jeune bourgeois et, pis encore, un jeune bourgeois de gauche, je prenais les proverbes pour des leçons de morale bourgeoise, c'est-à-dire pour des blagues séculaires inventées dans le but de me rendre bête et craintif........... Je détestais le passé, comme il se doit. A la rigueur, j'en retenais quelques héros : Philippe le Bel, Richelieu, Jean Jaurès, mais j'en répudiais les obscurantismes.
Or les proverbes constituaient selon moi les formules mêmes de l'obscurantisme, les niaiseries dont étaient farcies les têtes d'un pauvre peuple que n'avait pas émancipé la République. La Fontaine, poète des proverbes, n'avait pas sa place dans un monde de gauche. La société voulait me mettre, comme elle disait, "du plomb dans la tête", et moi je ne voulais pas de ce métal pour alourdir ma tête de linotte. Du plomb ! Pourquoi pas de l'or ? On reconnaissait bien là la ladrerie des bourgeois ! A moins que ce ne fussent leurs envies de meurtre devant ce qui leur était supérieur. Le plomb, c'était une balle tirée dans la nuque, afin de tuer mes idées, mon originalité, mes ambitions, mon audace. J'écoutais avec délices les imbéciles faire des gorges chaudes sur la "sagesse des nations".
Je ne voulais pas de cette sagesse-là, moi, de cet esprit terre à terre, de ces petites vues, de cette école de prudence et de renoncement, je voulais à chaque instant brûler mes vaisseaux… quoique je n'eusse pas de vaisseaux, ni même de radeau, ni même de barcasse. Je détaille un peu tout cela pour montrer comme on peut se tromper, quand on est jeune et que l'on croit au progrès, sur cette grande question du pessimisme, lequel, en fin de compte, est une clef du monde.On va chercher les vérités au diable, alors qu'elles sont sous nos yeux, bien rangées par les soins des hommes qui nous ont précédés sur la terre.
On se croit un monstre et l'on s'aperçoit en vieillissant que la nature est bien plus féroce que vous, que l'on n'était qu'un bon jeune homme, qui avait des illusions...Comble de honte ! on voit des plaies que l'on n'imaginait pas, on sent des odeurs qui nous offusquent, et des gens meurent sans panache.Les humbles qui composent les nations en sont la grande voix anonyme. Si encore elle le proclamait avec fureur, si elle le criait ! Pas même. Elle le murmure avec des sourires résignés, avec humour, ma foi !  Ce réalisme ou ce cynisme est insupportable aux personnes qui nourrissent de grands rêves…